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Chien-loup, Serge Joncour

5 mai 2019

« Après trois jours à vivre là-haut, Joséphine se sentait délivrée de tout. Elle s’était libérée de la vie pesante au village, de cette hantise quotidienne qui les tenaillait tous, cette peur de voir un jour où l’autre les gendarmes s’approcher de leur maison avec un avis de décès dans la sacoche. Des oiseaux de mauvais augure, voilà ce qu’étaient devenus les militaires dans les campagnes, tous les jours on tremblait d’avoir affaire à eux.

Pour Joséphine, vivre dans cette simple cabane de pierre sèche, c’était un énorme changement. Ici elle ne retrouvait rien du confort du mas, et pourtant dans cette bâtisse sommaire d’une seule pièce, avec une porte d’un côté et une petite fenêtre de l’autre, elle avait la sensation de flotter au-dessus du monde. En se retrouvant au milieu des hautes prairies, elle avait quitté la guerre, elle s’était déprise du village où le spectre de la mort ne cessait de tout atteindre. Jamais elle n’avait vécu dans un tel dénuement, avec rien de plus qu’une pierre d’évier et une lampe à pétrole. La couche rude était simplement adoucie par un petit maltelas en laine, et malgré tout jamais elle n’avait éprouvé un tel sentiment de liberté. Au milieu de ces collines herbeuses elle se sentait vivante, sans plus aucun repère en dehors du soleil et des couleurs de l’été, comme si rien de la vie d’avant n’avait existé.

Dans les prairies tout autour, quel que soit le versant, l’herbe était abondante et grasse. Les moutons paissaient tout le long du jour, le soir ils rentraient rassasiés et ronds, quasi ivres, c’en devenait simple de les parquer. Une fois rassemblés au plus près de la cabane, ils dormaient toute la nuit sans demander leur reste. Quand les bêtes sont sur des pâtures avares, où il n’y a pas assez à manger, elles continuent à paître après le coucher du soleil, parfois même toute la nuit, si bien qu’elles ne se couchent pas et s’éparpillent, dès lors le berger a un mal fou à garder un oeil sur toutes. Alors que là, Joséphine regroupait ses bêtes à la tombée du jour et les parquait entre les claies pour les protéger des loups et des chiens errants. Les trois beaucerons restaient dehors pour assurer la garde, ile étaient fiables et Joséphine pouvait dormir sans crainte. »


(J’avais déjà évoqué Serge Joncour ici. C’est un auteur dont j’aime énormément la simplicité et l’authenticité.)

4 Comments

  • Reply Marie 22 juin 2019 at 17 h 14 min

    Merci beaucoup pour cette découverte lecture, je vais le chercher en librairie. Cela me fait penser à un livre que j’ai beaucoup aimé ces derniers mois, où l’on suit une femme qui survie dans un bout de forêt avec ses bêtes après une catastrophe : Le mur invisible, de Marlen Haushofer. J’ai vu récemment le tableau qui illustre sa couverture et je crois que je ne l’oublierai jamais.

    • Reply mathilde 16 octobre 2019 at 9 h 56 min

      Je vais noter les références, merci beaucoup!

  • Reply pivoine 2 août 2019 at 13 h 45 min

    Je l’ai lu et beaucoup aimé !!!

    • Reply mathilde 16 octobre 2019 at 9 h 47 min

      En as-tu lu d’autres de lui? J’avais aussi beaucoup aimé « l’amour sans le faire ».

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